plusieurs catastrophes ont été évitées de justesse à Paris

23.09.2009 – Le Figaro

Travail à mi-temps illégal, sous-effectif dans la tour de contrôle… Les «petits arrangements» se font au détriment de la sécurité. Enquête sur ces pratiques qui mettent en péril les atterrissages et les décollages.

Dernière minute : Après la publication de notre enquête (lire ci-dessous), Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat chargé des Transports demande au patron de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), Patrick Gandil, «de lui faire parvenir dans les 24 heures des éléments d’analyse et d’information sur les évènements rapportés». La Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) a indiqué qu’elle était en train d’apporter les éléments de réponse demandés.

Les contrôleurs aériens français travaillent quasiment à mi-temps dans la plus parfaite illégalité. Le système a été baptisé «clairance». Selon nos informations, c’est devenu un véritable problème de sécurité aérienne. Dans le jargon aéronautique, une clairance est une autorisation de décollage ou d’atterrissage. Mais c’est peu à peu devenu une autorisation de passer la journée chez soi.

«Les contrôleurs aériens sont censés assurer 24 heures à leur poste par semaine, soit l’équivalent de 160 jours de travail par an, explique une source syndicale. Mais dans les faits, ils n’assurent souvent que 12 heures hebdomadaires et 80 jours par an.» En principe, les contrôleurs doivent travailler par équipes tournantes, de quinze personnes à Roissy par exemple. Théoriquement, ces quinze personnes sont toujours à leur poste et sont d’ailleurs payées pour cela. Mais dans la réalité, plusieurs manquent à l’appel. Leur absence est consignée dans un «cahier de clairance» qui organise le temps de travail et la rotation de l’effectif de manière totalement illégale. «Le contrôle aérien est une profession qui s’est beaucoup féminisée, ajoute un spécialiste. Du coup, les clairances sont très pratiquées lors de la rentrée des classes ou des vacances scolaires.»

Aucun commentaire officielOfficiellement, personne n’a jamais entendu parler de ce système d’autogestion. Contactées par Le Figaro, les directions d’Aéroports de Paris et d’Air France ne font aucun commentaire. Mais sous le sceau de l’anonymat, les langues se délient. «Nous avons à maintes reprises relevé une diminution du nombre de mouvements d’avions sur les pistes alors qu’il n’y avait aucun problème météorologique ou technique, explique un cadre d’Air France. Nous avons alors constaté que les contrôleurs aériens n’étaient pas à l’effectif prévu. Nous restons très en retrait sur ce dossier car nous craignons des représailles telles qu’une grève.» De son côté, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) ne dément pas l’existence de ce système, se contentant de rappeler que «le nombre de positions de contrôle ouvertes à un instant donné ne peut être inférieur au dimensionnement nécessaire pour la sécurité des vols».

Les clairances sont une conséquence de la réforme des autoroutes du ciel de 1999. Celle-ci a permis d’augmenter le trafic aérien en dessinant de nouvelles routes célestes au-dessus de l’Europe. La DGAC a alors recruté de nombreux contrôleurs aériens formés à ces nouvelles autoroutes. D’où un sureffectif qui a réduit la fréquence des vacations en tour de contrôle. En clair, une diminution du temps de travail. «Mais depuis plusieurs années, les embauches ne compensent plus les départs en retraite. Théoriquement, il faudrait que les contrôleurs travaillent plus, explique une source du proche du dossier. Du coup, ils ont mis au point la clairance pour continuer au même rythme.»

Cacophonie sur les ondes

Ce système d’autogestion pose un réel problème de sécurité. Quand un contrôleur doit assurer le poste de plusieurs de ses collègues absents, il doit gérer le trafic et la sécurité de plusieurs zones, par exemple plusieurs pistes à Roissy ou une zone de parking et une zone d’approche de l’aéroport. Pour cela, il doit regrouper des fréquences radio qui, normalement sont couvertes par un seul contrôleur. Par exemple, la «fréquence piste» pour les avions qui rejoignent leur parking peut être regroupée avec la «fréquence d’approche» pour ceux qui vont atterrir. Ces regroupements peuvent entraîner une cacophonie sur les ondes et une situation de stress dans la tour de contrôle propice à l’erreur.

Plusieurs incidents liés à un sous-effectif en tour de contrôle ont ainsi été rapportés par les pilotes d’Air France. L’un d’entre eux, contacté par Le Figaro, raconte être passé près de la catastrophe au-dessus de Paris. «C’était un Airbus A 300 de la Kenyan Airlines dont le système anticollision ne marchait pas, rapporte le pilote. C’est le nôtre qui a assuré la manœuvre : nous avons plongé à 4 000 pieds par minute.» À cette vitesse de descente, l’avion est à une minute de l’impact au sol. «Du cockpit, j’ai entendu l’Airbus me passer juste au-dessus, explique le pilote. Une fois posé, le contrôle me donne l’autorisation de traverser la piste. J’aperçois alors en visu un avion au décollage et je m’arrête net. En quelques minutes, j’ai vécu deux risques d’accidents majeurs.»

Si les contrôleurs aériens reconnaissent à demi-mot l’existence de ce système de RTT occultes, leurs syndicats démentent. «On peut même être en sureffectif, à certains moments de la journée mais tout le monde reste à son poste, explique un porte-parole de l’Ussac-CGT, le syndicat qui représente le personnel de la DGAC. Nous avons davantage recruté que nos homologues européens mais nous sommes le seul prestataire qui n’a aucun délai pour cause de sous-effectif.»

Le fait est avéré, mais l’argument est fallacieux pour les pilotes interrogés par Le Figaro. «Les contrôleurs peuvent demander en amont à Eurocontrol (l’organisme européen de gestion du trafic aérien, NDLR) une baisse de capacité de l’aéroport engendrant une baisse des créneaux de décollage, explique un pilote. Au final, il n’y aura donc jamais de retard sur les pistes du fait d’un sous-effectif en tour de contrôle. Les créneaux sont toujours assurés.» La clairance sera donc très difficile à démontrer le jour où les autorités se pencheront sur le sujet. Tant qu’il n’y aura pas d’accident majeur, cette pratique risque de perdurer dans la plus parfaite illégalité.

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Plusieurs catastrophes ont été évitées de justesse à Paris ( 22.09.2009 – Le Figaro )


24.09.2009 : rapport de la DGAC

Lire le rapport de la DGAC du 24 septembre 2009 en réponse à Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat chargé des Transports.

La réaction de l’ADVOCNAR:

Faisant suite à l’article paru dans le Figaro et intitulé « les dangereuses pratiques des aiguilleurs du ciel » l’ADVOCNAR souhaite s’élever contre cette aberrante concentration de 60 % du trafic commercial français sur les trois aéroports de Roissy CDG, Orly et le Bourget. 3 millions d’habitants en Île-de-France, survolés à moins de 2000 m, sont exposés chaque jour au risque de crash, à la torture du bruit, à la privation de sommeil et à l’insidieuse exposition à la pollution !…
Lire le communiqué de presse de l’ADVOCNAR du 24 septembre 2009

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