Roissy pourrait-il suivre l’exemple de Francfort?

10.04.2012 – Le Monde

En 2010, l’aéroport de Roissy a enregistré 61 000 mouvements entre 22 heures et 6 heures, soit 170 vols par nuit.

Quand on lui parle de « vol de nuit », elle ne pense pas au roman d’Antoine de Saint-Exupéry. Ghislaine Kusnierz habite à Saint-Brice-sous-Forêt, à proximité de l’aéroport Roissy-Charles-de- Gaulle (Val-d’Oise), avec sept voies aériennes au-dessus de la tête. Chaque nuit, elle est réveillée par le vrombissement des avions qui décollent ou atterrissent. Vingt ans qu’elle ne dort que d’un oeil.

« Toute la nuit, les aéronefs se suivent, les uns derrière les autres. Ils me tapent sur les nerfs ; je les ai en horreur !, désespère-t-elle. Il faudrait que cela s’arrête de temps en temps. » Un espoir ravivé par la décision de la justice fédérale allemande, jeudi 5 avril, d’interdire les vols de nuit entre 23 heures et 5 heures à Francfort, troisième aéroport européen. Le jugement pourrait faire jurisprudence.

« Jusqu’à présent, on nous opposait qu’une limitation des vols de nuit à Roissy pourrait affaiblir sa compétitivité par rapport aux autres aéroports européens. Mais maintenant que ses concurrents appliquent des restrictions au trafic aérien de nuit, c’est Charles-de-Gaulle qui est favorisé, explique Patrick Kruissel, président de l’Association de défense contre les nuisances aériennes.
Nous demandons donc au gouvernement de limiter le nombre de vols en Ile-de-France en s’alignant sur les pays voisins. »

ROISSY, PREMIER AÉROPORT EUROPÉEN LA NUIT

Car aujourd’hui, l’aéroport de Roissy, deuxième aéroport européen, s’avère le plus important en terme de trafic aérien de nuit. En 2010, le « hub » a enregistré 61 000 mouvements (décollages et
atterrissages) entre 22 heures et 6 heures, soit 170 vols par nuit sur un total de 1 500 sur 24 heures. Des performances – en augmentation tous les ans – bien supérieures à celles de Francfort (40 000 mouvements), Schiphol, à Amsterdam (31 000) et Heathrow, à Londres (30 000).

Si Roissy-Charles-de-Gaulle enregistre autant de vols, c’est qu’il concentre 60 % du trafic national nocturne : en comparaison, on ne compte que 32 vols à Marseille, 30 à Orly (l’aéroport a adopté en 1968 un couvre-feu entre 23 h 30 et 6 heures), 26 à Nice, 25 à Lyon, 20 à Toulouse et moins de 10 vols à Nantes, Bordeaux et Strasbourg, selon les chiffres de l’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (Acnusa). Et 80 % du fret aérien français est canalisé à Roissy.

« Il est aberrant que l’essentiel du trafic soit regroupé dans le bassin qui compte la plus grosse population. On multiplie le nombre de personnes affectées », regrette Patrick Kruissel. Si la sensibilité au bruit reste malaisée à mesurer, selon l’Acnusa, 170 000 personnes sont indemnisées au titre du plan de gêne sonore de Roissy, 622 000 concernées par le plan d’exposition au bruit et 2 millions survolées à moins de 3 000 mètres d’altitude.

IMPACT ÉCONOMIQUE

A ces chiffres, les aéroports opposent ceux des retombées économiques pour la région : 27 000 emplois directs et 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires seraient générés par l’activité aérienne nocturne à Roissy, selon Aéroports de Paris. « L’activité économique des aéroports est très importante la nuit, notamment du fait du fret, avec FedEx et La Poste, qui transportent des quantités importantes de colis. Reporter ce trafic sur le rail ne serait pas possible et handicaperait tant les compagnies que les aéroports, assure Jean-Claude Ziv, professeur sur les transports au Conservatoire national des arts et métiers. Quant aux passagers, il n’y a tout simplement pas assez de créneaux en journée pour assurer la totalité de leurs déplacements. »

« Les vols de nuit ont un impact économique positif pour les compagnies et les aéroports. Mais il n’existe pas d’étude indépendante quant au besoin réel des entreprises ainsi que sur l’impact économique pour les territoires. Qu’en serait-il si ces vols étaient reportés en journée ? On ne le sait pas », note Ghislaine Esquiague, secrétaire générale de l’Acnusa.

LIMITATION DES VOLS ET ALTERNATIVES

A défaut d’un couvre-feu à Roissy, aujourd’hui inenvisageable au regard de l’ampleur du trafic, les associations demandent une limitation des vols de nuit. « Nous souhaiterions une diminution de l’ordre de 20 %, surtout entre 22 heures et minuit et à partir de 5 heures », livre Julien Delannay, chargé de mission à l’association d’élus Ville et aéroport.

Autre solution avancée : un meilleur aménagement du territoire. « Une partie du trafic de Roissy pourrait être délocalisée vers des plateformes situées dans des zones faiblement peuplées et reliées à Paris par le rail, comme l’aéroport de Vatry dans la Marne. Cela nécessiterait toutefois une volonté politique, via des incitations fiscales pour les entreprises et des prix attractifs pour les voyageurs », poursuit le chargé de mission. En Allemagne et en Belgique, les aéroports de Cologne et de Liège ont déjà permis de désengorger une partie du trafic de fret des capitales. Un projet de liaison marchandise en TGV entre Lyon, Roissy et Londres est par ailleurs en cours de test.

La lutte contre les nuisances aériennes passe enfin par le renouvèlement d’une partie des flottes des compagnies. Depuis le 25 mars, les avions les plus bruyants, définis par le chapitre 3 de la directive européenne de 2002 sur le bruit dans les aéroports, notamment les A320, sont interdits de vol entre 22 et 6 heures. « C’est un bon début, mais cette mesure ne concerne que 1 000 avions par an, soit 1 % de la flotte, indique Julien Delannay. Il faut l’étendre à d’autres appareils. »

Audrey Garric

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