03.12.2015 – Les Echos.fr

Le volume des émissions de CO2 du transport aérien international devait passe de 448 millions de tonnes en 2014 à plus de 1.500 millions de tonnes en 2050 – Airbus

Si les transports font l’objet d’une journée dédiée ce jeudi à la COP 21, le transport aérien est, une fois encore, laissé de côté, au grand dam des défenseurs de l’environnement.

Journée spéciale « transports propres » ce jeudi à la COP 21. Et pourtant, ni le transport aérien, ni le transport maritime ne figurent au menu des négociations de la conférence internationale. Une omission qui suscite bien des incompréhensions et bien des suspicions. Si l’avion n’est officiellement responsable que de 2% des émissions de gaz à effets de serre dans le monde, comme se plaisent à rappeler ses défenseurs, il n’en reste pas moins le mode de transport le plus polluant par passager et kilomètre parcouru. Selon une étude de la Commission européenne, un aller-retour Londres/New York représente à peu près autant d’émissions de gaz à effet de serre que le chauffage d’un maison pendant une année.

Si l’amélioration constante des performances des moteurs a permis de réduire la consommation de carburant par passager/km transporté de 80% en 50 ans, le volume globale d’émissions polluantes n’en a pas moins continué à augmenter, du fait de la croissance du trafic, plus rapide que les progrès technologiques. Ainsi, en France, les émissions de CO2 de l’aérien par passager/km ont baissé de 34% entre 1990 et 2013, selon les statistiques de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), mais elles sont passées dans le même temps de 13,3 millions à 21,3 millions de tonnes de C02. Et compte tenu de la croissance du trafic, de l’ordre de 5% par an, les émissions polluantes du transport aérien seraient encore multipliées au minimum par trois d’ici à 2050, au rythme actuel de réduction de la consommation. Ce qui ferait passer le volume mondial d’émissions de C02 des vols internationaux de 448 millions de tonnes actuellement à 760 millions de tonnes en 2020 et plus de 1.500 millions de tonnes en 2050.

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Le lobby des compagnies aériennes

Dès lors, pourquoi le transport aérien est-il systématiquement laissé de côté lors des grandes messes environnementales, comme la COP21 ? Pourquoi l’avion est-il également le seul mode de transport dont le carburant échappe encore à toute taxe  ? S’agit-il, comme l’affirme l’association britannique Brandalism, à l’origine d’une campagne de publicité parodique dans Paris vilipendant Air France, de protéger les intérêts du lobby des compagnies aériennes, sans lesquelles les délégations du monde entier auraient bien du mal à se réunir aux quatre coins du monde ?

La réponse est évidemment plus complexe que ça. La première raison tient au statut du transport aérien international, tel qu’il a été défini au sortir de la deuxième guerre mondiale. Du fait de sa nature transfrontalière, le transport aérien international est en effet régi par un organisme onusien, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), associant 191 Etats, qui votent à la majorité toute modification du cadre réglementaire.

Le rôle incontournable de l’OACI

Cette forme de gouvernance mondiale a permis l’essor du transport aérien, en garantissant un minimum de règles communes en matière de sécurité, de sûreté, mais aussi en matière environnementale, comme le rappelait récemment Michel Wachenheim, ex-représentant de la France auprès de l’OACI, lors d’une conférence à l’Ecole nationale de l’aviation civile (Enac).

« La première réglementation environnementale de l’OACI date de 1968 et portait sur la réduction des nuisances sonores, explique-t-il. Chapitre après chapitre, elle a permis de réduire de moitié, l’empreinte sonore des avions depuis les années 70. Dès 1971, l’OACI vote également une première résolution visant à établir des normes d’émissions polluantes, Nox et CO2. Nous en sommes aujourd’hui à la troisième génération de normes et le sujet sera encore au cœur de la prochaine assemblée généralede l’OACI, en septembre 2016. L’objectif est de réduire les émissions par passager/km de 2 % par an d’ici à 2020, pour arriver à une stabilisation du volume d’émissions en 2020. »

Le grand rendez-vous de 2016

Pour le transport aérien, tout se jouera donc à Montréal, en septembre 2016, lors de la prochaine assemblée générale de l’OACI. Cependant, si les intentions affichées sont claires, l’objectif ne sera pas facile à atteindre. Car, de l’avis général, les progrès technologiques, sur lesquels se sont reposées les compagnies aériennes, ne suffiront pas. «  Historiquement, le rendement énergétique des avions s’améliore de 1,5% à 2% par an, Sachant que le trafic augmente de 5% par an, les émissions du transport aérien continuent de croître de 3% par an, résume Paul Schwach, ex-directeur du transport aérien à la DGAC. C’est pour cette raison que l’Europe voulait faire entrer l’aérien dans le marché des émission de CO2. » Avec le peu de succès que l’on sait.

Décidé en 2008 sans tenir compte des règles de l’OACI, la tentative européenne pour imposer des quotas de CO2 payants aux compagnies aériennes a suscité une levée de bouclier sans précédent dans la part de nombreux pays. Certains, comme la Chine et la Russie, n’hésitant pas à prendre des mesures de rétorsion contre Airbus et les compagnies européennes. Face à l’hostilité générale, l’Union européenne dût finalement se résoudre à en limiter l’application aux seuls vols intra-européens, en échange de la vague promesse d’un accord mondial dans le cadre de l’OACI sur de possibles mesures de marché pour réduire les émissions de CO2.

Accord de principe

Pour l’heure, les 191 Etats-membres de l’OACI sont seulement tombés d’accord sur le principe d’un dispositif de ce genre, mais sans en arrêter les modalités. Ce sera l’enjeu – incertain – de la prochaine conférence de 2016. Si l’instauration de quotas d’émissions semble trop compliqué à mettre en oeuvre, d’autres pistes existent comme une taxation du kérosène et/ou d’autres formes de compensations, par exemple le reboisement.

Mais, cela suppose de s’entendre sur la répartition des efforts entre les pays et les compagnies, sachant que les nouveaux venus veulent pouvoir continuer à se développer , ainsi que sur un dispositif de contrôle contraignant, au niveau international. «  Des mesures de marché seront nécessaires à partir de 2020, pour combler le gap technologique entre 2015 et 2040, avant l’arrivée d’une nouvelle génération d’appareils, estime Michel Wachenheim, aujourd’hui conseiller du PDG d’Airbus. Ce n’est pas un problème économique : le surcoût de ces mesures ne devrait pas excéder 1% du prix du billet, estime-t-il. C’est avant tout un problème politique. »

Bruno Trévidic

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