« Trop c’est trop », tel est le titre d’une exposition qui se tient jusqu’au 21 juin 2019 à la Maison de l’Environnement du groupe AdP.

On y voit le parking d’un centre commercial nommé « Hubris », symbole de notre société de consommation.

L’hubris, terme issu du grec ancien, est une notion que l’on peut traduire par « démesure ». C’est un sentiment violent inspiré des passions, particulièrement de l’orgueil. Les Grecs lui opposaient la tempérance et la modération. Dans la Grèce antique, l’hubris était considérée comme un crime. Elle recouvrait des violations comme les voies de fait et le vol de propriété publique ou sacrée. C’est la tentation de démesure ou de folie imprudente des hommes.

Elle est à rapprocher de la notion de moïra, terme grec qui signifie  destin. Les anciens concevaient en effet le destin en termes de partition. Le destin, c’est le lot, la part de bonheur ou de malheur, de fortune ou d’infortune, de vie ou de mort, qui échoit à chacun. Or, l’homme qui commet l’hubris est coupable de vouloir plus que la part qui lui est attribuée par la partition destinale. La démesure désigne le fait de désirer plus que ce que la juste mesure du destin nous a attribué.

Dans cet extrait d’Aristote l’hubris est traduit par outrage.  » Celui qui outrage méprise. En effet, l’outrage c’est le fait de maltraiter et d’affliger à propos de circonstances qui causent de la honte à celui qui en est l’objet, et cela dans le but non pas de se procurer autre chose que ce résultat, mais d’y trouver une jouissance. Ceux qui usent de représailles ne font pas acte d’outrage, mais acte de vengeance. « 

La conception de l’hubris comme faute détermine la morale des Grecs comme étant une morale de la mesure, de la modération et de la sobriété, obéissant à l’adage grec « de la mesure en tout », ou encore « jamais trop » et « toujours assez ». L’homme doit rester conscient de sa place dans l’univers, c’est-à-dire à la fois de son rang social dans une société hiérarchisée.

Cette exposition démarre au cœur de la période de concertation que le groupe AdP mène à propos de son projet démesuré du futur terminal 4.

Pourquoi démesuré ? Parce qu’il ambitionne de construire au sein de la plate-forme Roissy CdG, une aérogare pouvant accueillir 40 millions de passagers supplémentaires, soit une capacité dépassant celle du 2ème aéroport français, Orly. Les impacts sanitaires sont monstrueux. Cet ajout de 74% de passagers par rapport au trafic actuel occasionnera 38% de vols supplémentaires, ou en moyenne 500 vols de plus par jour, une augmentation de 30% des émissions d’oxydes d’azote, de 13% de l’indicateur de bruit, de 12% des émissions de gaz à effet de serre, de 11% des particules fines…

N’est-on pas dans la démesure ?

Le groupe AdP vit dans son monde, insensible aux réalités du moment. Depuis des décennies, on nous rabâche le thème développement durable, oxymore car si le monde économique continue à se développer comme il le fait, il n’est pas durable. L‘absence de taxation du kérosène existe depuis 1944 dans la plupart des pays, de même la TVA a échappé à ce secteur sur les liaisons internationales. C’est la grande prouesse d’un lobby bien organisé au sein de l’OACI, organisation bien structurée dans laquelle aucun grain de sable ne vient perturber la certitude de ces dirigeants d’entreprises aéronautiques, sûrs d’eux. On peut parier que cette incongruité qui commence à se fissurer ne tiendra pas durant la prochaine décennie. L’opinion publique qui jusqu’à présent dans sa grande majorité ignorait ces niches fiscales, certains fermant les yeux en profitant de la baisse des prix orchestrée par la concurrence des compagnies low cost, commence à prendre conscience de cette situation.

Croire que l’augmentation du trafic aérien est inéluctable et que la courbe de croissance du trafic aérien des dernières décennies va continuer comme avant, c’est ignorer les contraintes environnementales, principalement les émissions de gaz à effet de serre. La France organisatrice de la COP21, et signataire de l’accord de Paris s’est engagée auprès des institutions internationales à diviser par 4 ses émissions de gaz à effet de serre. Cet objectif ambitieux nécessite la participation de tous les secteurs. Laisser croitre les émissions du trafic aérien au prétexte que ce secteur est exclu du protocole de Kyoto, c’est laisser celui-ci se comporter en passager clandestin de la lutte contre le dérèglement climatique.

Laisser le trafic mondial poursuivre sa progression exponentielle est irresponsable.

L’avoir laissé faire par le passé de la part de l’État sur les aéroports franciliens (la moitié du trafic national), alors que la région a une densité de population 10 fois supérieure à la moyenne des autres régions, c’est un déni de l’intérêt général et de la protection sanitaire des populations concernées. Dépenser 7 à 9 milliards d’euros (coût officiel du projet de terminal 4) pour persister dans les erreurs du passé, ce n’est sans doute pas la meilleure solution pour rapprocher les citoyens des responsables politiques, industriels et économiques.