07.06.2019 – Libération

Par Charles Delouche

Sommeil perturbé, stress… L’exposition à des décibels élevés entraîne de graves conséquences, notamment en Ile-de-France, avec son réseau de transports routier, aérien et ferroviaire. La loi mobilité, en discussion à l’Assemblée, veut s’attaquer au problème.

Cela fait plus de dix ans que Catherine Le Comte, retraitée de 66 ans, dort dans sa cave, située à l’entresol de son pavillon de Sannois, dans le Val-d’Oise. Un choix contraint et forcé. En cause, les centaines d’avions qui passent quotidiennement au-dessus de sa maison depuis plus de vingt ans. Située à 20 km à vol d’oiseau de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle (CDG), la ville de Sannois est située dans la zone du Plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE), mis en œuvre à l’échelle nationale via une directive européenne de 2002. Cette mesure demande aux agglomérations de plus de 100 000 habitants de réaliser tous les cinq ans une cartographie stratégique du bruit sur leur territoire et d’instaurer des plans de prévention.

Car les conséquences sanitaires liées à une surexposition au bruit dépassent la simple gêne. Perturbations du sommeil, stress et troubles cardiovasculaires… Le bruit tuerait même lentement. C’est ce que montre le rapport alarmant de l’observatoire Bruitparif publié en février (1). Dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation des mobilités à l’Assemblée nationale qui se déroule actuellement, des députés de la majorité ont demandé un renforcement de l’information des citoyens et de l’expertise des territoires. Ils réclament

A lire aussi: «Avec les avions, la gêne est produite par le nombre d’appareils qui passent»

Sannoisienne depuis son enfance, Catherine Lecomte est une victime parmi beaucoup d’autres de l’agrandissement de l’aéroport de Roissy. En 1997, elle a découvert que le domicile familial était placé sur la trajectoire des appareils qui décollaient des nouvelles pistes sud. Depuis cette date, «environ 500 avions passent quotidiennement au-dessus de chez moi. Jour et nuit», raconte-t-elle. Elle dort en pointillés. Les nuisances aériennes l’obligent petit à petit à pousser le son de sa télévision au maximum, «pour masquer le plus possible le bruit des avions» : «C’est devenu impossible. J’ai fini par avoir des difficultés de langage, des allergies…» En 2006, «épuisée», elle a aménagé sa cave en «une chambre ultra-isolée», avec l’aide d’un ami artisan. Elle a fait poser du double-vitrage et protège la pièce «avec 40 cm de laine de roche compressée, renforcée par des planches de bois OSB. Un investissement de près de 6 000 euros». Domiciliée dans la zone D du Plan d’exposition au bruit (PEB), un document d’urbanisme qui vise à éviter l’exposition des riverains aux nuisances sonores générées par le trafic aérien, la retraitée n’a pourtant pas été indemnisée pour ses travaux.

Paris, ville la plus bruyante d’Europe après Naples

Territoire le plus peuplé du pays avec ses 12 millions d’habitants pour une superficie de 12 000 km2, l’Ile-de-France concentre les nuisances sonores routières, ferroviaires et aéroportuaires. Pour réaliser son étude, l’observatoire Bruitparif basé à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) s’est appuyé sur les derniers chiffres publiés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport datant d’octobre. «Nous avons croisé leurs données avec les cartes d’exposition au bruit sur le territoire francilien et utilisé deux indicateurs : le cumul d’impact sanitaire par commune en tenant compte de la densité de population et le risque sanitaire», détaille Fanny Mietlicki, directrice de Bruitparif.

En Ile-de-France,

ce sont ainsi plus de 9 millions de personnes qui sont exposées à des niveaux supérieurs aux valeurs recommandées par l’OMS. Premier réseau routier de France, la région compte plus de 40 000 km de routes et près de 1 000 km d’autoroutes. Au bord des axes franciliens, la pollution sonore tourne autour de 80 décibels. Un chiffre bien supérieur aux 68 décibels recommandés par la France ou aux 53 décibels préconisés par l’OMS. Deuxième ville d’Europe la plus bruyante après Naples, Paris devance, en France, Marseille, Lyon et Toulouse. «Il nous semblait important que les acteurs locaux et les pouvoirs publics s’emparent de la problématique du bruit et réalisent qu’elle a un impact sérieux sur la santé», rappelle la directrice de l’observatoire.

A lire aussi: Fresnes : «Sans ce mur, ça n’aurait pas été tenable»

Selon le rapport, un individu exposé de jour comme de nuit à des niveaux de bruit routier proches des valeurs limites réglementaires perdrait près de douze mois de vie en bonne santé. Une personne résidant dans la limite de la première zone du Plan de gêne sonore de l’aéroport de Roissy perdrait quant à elle jusqu’à trente-six mois de vie en bonne santé. «Pour le trafic aérien, le nombre de personnes concernées est plus faible que pour le trafic routier ou ferroviaire, détaille la directrice de Bruitparif. Mais les risques individuels sont plus élevés.» Les nuisances aéroportuaires sont très «inégalement localisées», comme le rappelle Françoise Brochot, la présidente de l’association Advocnar fondée en 1986 et mobilisée contre les agressions causées par le bruit des avions. Elle habite la ville de Soisy-sous-Montmorency, située dans l’axe des pistes de Roissy. Selon elle, ce rapport a «fait l’effet d’une bombe» pour les dirigeants et les pouvoirs publics. Cumulées, les nuisances causées par les aéroports de Paris-CDG et du Bourget touchent cinq départements. L’association entend aujourd’hui influer sur la deuxième génération de plans de prévention «car les conséquences au quotidien ne sont pas anodines : la perte de sommeil peut générer des arrêts de travail, des traitements aux antidépresseurs, mais encore engendrer du stress et de l’hypertension».

«Même enfermée dans ma cave, je les entends parfois»

Dernier objet de lutte en date pour les riverains : le projet de création du terminal 4 de Roissy-Charles-de-Gaulle.

Sa mise en œuvre ferait passer le nombre de passages d’avions de 485 000 à 600 000 par an. «Même si on observe des progrès sur la conception des moteurs des avions, une augmentation de 40 % du trafic telle que prévue avec l’arrivée du nouveau terminal peut faire craindre que les nuisances soient encore plus conséquentes pour les personnes déjà survolées», analyse la directrice de l’observatoire. Par ailleurs, dans la vallée de Montmorency, les prix de l’immobilier grimpent moins vite que dans les zones sans nuisance. «Depuis le doublement des pistes en 1997, les prix ont gagné 12 % tandis que dans les villes non touchées, la hausse est aux alentours de 27%. Plus on se rapproche de l’aéroport, plus l’impact sur l’immobilier est fort», constate Françoise Brochot.

La prise de conscience des conséquences de l’exposition au bruit interroge l’évolution de la tolérance aux nuisances sonores. Dans son rapport, Bruitparif n’a pas tenu compte des bruits présents sur le lieu de travail ni des bruits de voisinage. «Nous sommes persuadés que ces autres types de nuisance, plus difficilement mesurables, ont aussi des conséquences sur la santé», ajoute Fanny Mietlicki de Bruitparif. Pour Catherine Le Comte, le bruit répété des avions au-dessus de sa tête la pousse à fuir sa ville dès qu’elle le peut : «Même enfermée dans ma cave, je les entends parfois. Alors, j’ai installé un lit dans ma voiture et dès que j’en ai l’occasion, je vais dans les bois avec mon transat, juste pour avoir un peu de silence.»

(1) Impacts sanitaires du bruit des transports dans la zone dense de la région Ile-de-France.

Quelques pistes antibruit

Pour lutter contre le bruit, les solutions ne sont pas seulement techniques. On peut réduire les nuisances en amont en organisant les flux de véhicules et en respectant les plans d’exposition au bruit. Les villes engagées dans le développement durable favorisent les modes de transport doux, tels que le vélo ou la marche à pied, notamment via les nouveaux plans de déplacement urbain qui cherchent à diminuer le trafic automobile.

A partir de 30 km/h, ce sont les bruits liés aux vibrations des pneus sur l’asphalte qui créent de la nuisance, bien plus que le simple bruit des moteurs. En avril, Paris a inauguré trois tronçons de revêtement antibruit différents pour une durée de trois ans. En multipliant les creux à travers le bitume via des microporosités, les ondes sonores sont absorbées par la route.

Dans le monde du travail, c’est le secteur ouvrier qui est le plus touché par les fortes expositions au bruit. Quelque 600 cas de surdité d’origine professionnelle sont reconnus tous les ans en France. Grâce à l’électronique, de nouvelles protections auditives génèrent un contre-bruit à proximité de l’oreille de manière à atténuer le son arrivant au tympan.

 

Cette entrée a été publiée dans Actualités. Taggée le lien en favori.