16.10.2023 – France Soir

Par Corine Moriou*

Augustin de Romanet, PDG d’ADP, et Sophie de Menthon, présidente d’ETHIC, lors d’une conférence-débat le 10 octobre 2023, à Paris. Photo @ETHIC

Paris-Charles-de-Gaulle est l’aéroport qui accueille en Europe le plus de vols de nuit entre 22 h et 6 h du matin. Les avions « tout cargo » sont particulièrement bruyants et cassent les oreilles des Franciliens et des Parisiens. A cela s’ajoutent les infractions délibérées de compagnies low-cost qui atterrissent au cœur de la nuit. Une tendance irrespectueuse qui s’amplifie sans que des réformes sérieuses soient mises en œuvre.

« Le nombre de voyages aériens dans le monde est passé de 100 millions en 1960 à 4,5 milliards en 2019. Seulement 7% de la population mondiale a pris l’avion une fois dans sa vie. Un Américain prend trente fois plus l’avion qu’un Indien. Avec l’avènement des classes moyennes dans certaines zones géographiques, la pression à la hausse du trafic aérien mondial va demeurer forte. »

Le décor est planté par Augustin de Romanet, Président directeur général du groupe Aéroport de Paris, invité d’une conférence-débat par Sophie de Menthon, Présidente du Mouvement ETHIC, organisation patronale rassemblant plus de 300 entreprises. Ce 10 octobre dernier, une cinquantaine de dirigeants étaient tout ouïe pour écouter le patron d’ADP sur le thème « Aéroport de Paris, une entreprise comme les autres ? ».

Le secteur aérien est en pleine mutation, soumis à de vives turbulences.

Comment concilier l’explosion du transport aérien, la préservation de la planète et la santé de ses habitants ?

« Les projections de croissance de l’aérien sont hallucinantes à l’heure où l’on parle de changement climatique. Il y a un aveuglement émotionnel par des gens qui sont passionnés par les avions et ne veulent rien remettre en question », estime Alexandre Florentin, expert énergie-climat et promoteur d’un vœu adopté en juin dernier au Conseil de Paris qui engage la Ville de Paris à plaider auprès du gouvernement et d’ADP pour la baisse du trafic aérien.

Augustin de Romanet sait l’équation difficile et propose : « Les compagnies aériennes doivent être incitées à renouveler leurs flottes avec des avions nouveaux plus économes en carburants et moins bruyants. L’IATA vise pour l’aviation zéro émission de CO2 d’ici 2050. Il faut décarboner le secteur aérien avec des carburants alternatifs comme le SAF (Sustainable Aviation Fuel, N.D.L.R) et l’utilisation de l’hydrogène. »

Une urgence qui pourrait bien prendre plusieurs décennies alors que la situation actuelle déclenche les foudres des associations de riverains des aéroports. 

L’augmentation des vols de nuit « tout cargo », particulièrement bruyants

FedEx, le plus grand expressiste au monde, qui a son hub européen à Roissy-CDG, fait voler 70 à 80 aéronefs par nuit.

C’est un vacarme assourdissant la nuit au-dessus de l’Ile-de-France et de Paris.

En 2022, on comptabilisait 55 393 vols de nuit entre 22h et 6h, soit une moyenne de 152 vols par nuit. En 2023, on table sur un chiffre identique au nombre de mouvements en 2019, c’est-à-dire 63 000 vols de nuit, soit 172 vols par nuit. Qu’en sera-t-il en 2024 ? Toujours plus ?

Sur les vols de nuit en 2022, il y a eu 26 994 vols « tout cargo », ce qui signifie que la moitié des vols au départ ou à l’arrivée de Roissy-CDG sont des livraisons de fret.

« Avant le covid-19, il n’y avait pas autant de cargo, le fret était réparti dans les soutes des avions de ligne et dans les vols commerciaux, fait remarquer Françoise Brochot, la présidente d’ADVOCNAR, l’Association de Défense Contre les Nuisances Aériennes. Il semble que les habitudes d’achat par Internet se soient installées. Les FedEX, DHL et autres utilisent en pleine nuit des avions particulièrement bruyants comme le MD11, un tri réacteur. »

Il est vrai que les aéronefs « tout cargo » ont une moyenne d’âge de plus de 16 ans et leurs caractéristiques environnementales (bruit certifié en approche et bruit certifié en survol) sont médiocres.

A cela, les principaux expressistes (FedEx, DHL, UPS et ASL) rétorquent qu’ils ne sont pas opposés à remplacer leur flotte. Ils attendent de l’Etat une feuille de route sur le calendrier et sur les caractéristiques acoustiques minimales requises dans les prochaines années pour opérer à Paris-CDG.

« Paris-Charles-de-Gaulle est devenu l’aéroport poubelle de l’Europe avec l’accueil des avions les plus bruyants et les plus polluants qui sont refusés ailleurs, ne décolère pas Françoise Brochot. Nous demandons l’interdiction totale des avions les plus bruyants à Roissy. Cet aéroport gère deux fois plus de vols de nuit que ses concurrents européens. Les aéroports de Londres-Heathrow, Amsterdam Schiphol, Francfort, Madrid, eux, interdisent ou limitent les vols de nuit sur des plages horaires d’au moins six heures. »

Au cabinet PMP Strategy, on fait l’analyse suivante : « Si les aéroports eux-mêmes sont loin de disposer de toutes les clés, ils peuvent proposer à l’ART – Autorité de Régulation des Transports – un renforcement des malus dans le montant des redevances aéroportuaires des appareils les plus sonores ou qui atterriraient de nuit » nous précise Sébastien Charbonnel, manager Mobilité & Energie.

Sommeil perturbé pour les riverains de Roissy… et les Parisiens

1ère photo : Paris-Rome par ASL à 4h55 —— 2e photo : Paris Venise par FedEx à 4h35 —— 3e photo : Paris Hong Kong par Cathay Pacific Cargo à 23h41

Selon une étude de Bruitparif, l’observatoire du bruit en Ile-de-France, 1,4 millions de riverains seraient exposés à des niveaux de bruit très supérieurs aux recommandations de l’OMS pour garder une bonne santé.

L’OMS recommande 8 heures consécutives de sommeil pour un adulte, mais il suffit qu’un avion survole une habitation pour que son occupant soit réveillé et perturbé. Or, il y a un mouvement d’avion toutes les trois à cinq minutes en moyenne entre 0h et 5h (ce que l’on appelle le cœur de nuit) et toutes les trois minutes en début et fin de nuit.

La liste est longue des effets dévastateurs sur la santé: troubles anxio-dépressifs, maladies cardio-vasculaires, dépression, hypertension, asthme, allergies, absentéisme, échecs scolaires…

Sous les couloirs de Roissy, les Franciliens perdraient jusqu’à trois années de vie « en bonne santé ».

Le coût social du bruit atteint, selon l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, la somme astronomique de 147 milliards d’euros par an, dont 42,6 milliards d’euros pour la seule région Île‑de‑France. 

Aux riverains de Roissy-CDG victimes des nuisances sonores s’ajoutent désormais les Parisiens, principalement ceux qui résident dans les arrondissements du nord de la capitale.

Un dossier pris au sérieux par le Président d’ADP qui a reçu des plaintes dans ce sens et, notamment un courrier de Catherine Dumas, Sénatrice de Paris, qui l’a interpellé sur le sujet, le 5 octobre dernier.

Dans un article du 14 octobre, le journal Le Monde alerte sur le bruit des avions qui perturbent les habitants de Paris intra-muros. Le mécontentement monte.

Le couple infernal Orly Roissy : les compagnies low-cost dans le collimateur de l’ACNUSA

« C’est la double peine pour les riverains de Roissy et d’Orly réveillés tard dans la nuit et tôt le matin », Gilles Leblanc, Président de l’ACNUSA

Roissy-Charles-de-Gaulle la nuit serait-il l’aéroport de tous les débordements ?

En plus des vols « tout cargo », s’ajoute le ballet des compagnies low-cost court et moyen-courriers dans le ciel francilien.

L’été n’a pas été calme. Les aéroports ont été le théâtre « d’infractions délibérées » a accusé l’ACNUSA, l’autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires qui délivre des amendes allant jusqu’à 40 000 euros.

Des compagnies low-cost ont, en effet, enfreint allègrement et à plusieurs reprises les couvre-feux nocturnes. La reprise économique leur a donné des ailes, prêtes à tout pour gagner des parts de marché, se livrant entre elles une concurrence féroce. Du jamais vu.

Le Journal Télévisé (JT) d’Anne-Sophie Lapix du 4 octobre 2023 explique parfaitement la pagaille aéroportuaire (reportage sur les nuisances sonores aériennes à partir de la 13ème minute

« Nous avons constaté une forte augmentation des mouvements en cœur de nuit à Roissy, en dépassement du plafond réglementaire et des quotas qui sont alloués aux compagnies pour atterrir ou décoller entre minuit et 5h30. Le plafond de 17 562 mouvements autorisés en cœur de nuit pour la saison aéronautique 2023 sera probablement dépassé du fait d’une certaine complaisance de l’administration civile », pointe du doigt Gilles Leblanc, le Président de l’ACNUSA, le gendarme des nuisances aéroportuaires.

Qui sont les cow-boys de l’aérien ? Citons notamment Volotea (siège social Espagne), Wizz Air (Hongrie), Ryanair (Irlande), Vueling (Espagne), Easyjet (Royaume Uni), Transavia (Pays Bas).

Comment fonctionnent les compagnies low-cost ?

Elles visent la rentabilité en proposant jusqu’à huit vols dans une journée avec un avion et deux équipages. Fatalement, il y a toujours un passager en retard, un bagage égaré, un horaire décalé…

A l’aéroport d’Orly, les aéronefs sont soumis au couvre-feu de 23h30 à 6 h. Les avions arrivant en retard sont déroutés sur Roissy-Charles-de-Gaulle pour atterrir après minuit.

« Le lendemain, les aéronefs décollent de Roissy vers 5h40 pour se repositionner à Orly à 6 heures, heure de fin du couvre-feu. Ils sont alors prêts à opérer sur d’ autres destinations. C’est la double peine pour les riverains de Roissy et d’Orly réveillés tard dans la nuit et tôt le matin », regrette Gilles Leblanc dénonçant « un gâchis sanitaire, environnemental et économique ».

Atterrissages en infraction : les compagnies aériennes rarement sanctionnées

Easyjet, compagnie low-cost, en concurrence féroce avec d’autres compagnies européennes à bas coût

En août 2023, sur les 1 684 mouvements à Roissy-CDG réalisés en cœur de nuit entre minuit et 5h30, 119 arrivées (dont près de la moitié en déroutement d’Orly) et 26 départs étaient en infraction.

Pourquoi une telle différence ?

Celle-ci s’explique par le fait que les arrivées en cœur de nuit sans créneau ne sont pas considérées comme des manquements aux règles environnementales et donc sanctionnées par l’ACNUSA. Elles sont considérées comme des manquements aux règles capacitaires. C’est là que le bât blesse.

Les manquements à l’arrivée peuvent conduire à des poursuites. Mais, lorsque c’est le cas, celles-ci sont transmises à une commission administrative (où siègent les compagnies aériennes) qui propose rarement au Ministre de prononcer des amendes.

Un tel système est inique selon l’ADVOCNAR qui demande que l’ACNUSA puisse aussi prononcer des sanctions sur les manquements aux arrivées.

Elisabeth Borne, Ministre des Transports (2017 à 2019), puis Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire (2019 à 2020), s’était engagée à combler ce vide juridique. Cet engagement n’est malheureusement toujours pas tenu.

« Les 1,4 millions de riverains du plus grand aéroport d’Europe ne méritent pas une telle punition », soupire Françoise Brochot.

L’ADVOCNAR exige 30 000 mouvements maximum de nuit entre 22h et 6h en 2025, au lieu de 53 393 aujourd’hui. A terme, l’association demande un couvre-feu total à Roissy.

Il semblerait que Clément Beaune, le Ministre des Transports, ne soit pas totalement sourd à cette hypothèse. « Je dois honorer les engagements de la Première ministre », a-t-il dit aux associations et aux élus qu’il a reçus lors de la mobilisation du 9 mai dernier devant son Ministère, boulevard Saint-Germain.

Les représentants d’ADVOCNAR ont été entendus sur le sujet du couvre-feu par le cabinet CGX AERO suite à une lettre de mission du préfet du Val d’Oise chargé d’étudier la restriction du nombre de vols à Roissy.

« Mais nous ne voulons pas que les vols annulés la nuit se déportent sur le jour », martèle Françoise Brochot qui vise un plafond de 440 000 mouvements d’avions par an à Roissy-CDG (au lieu de 500 000) dès 2025, sur le modèle de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol.

Relever le montant de l’amende de 40 000 à 200 000 euros.

Près de 1 000 poursuites ont été engagées à l’encontre des compagnies aériennes en 2022 pour non-respect des règles édictées. Un chiffre impressionnant.

Que faire ?

Le Président de l’ACNUSA estime qu’il faudrait probablement augmenter le plafond des amendes encourues en cas d’infraction pour mieux faire respecter les règles établies.

« Dans un système très libéral, les compagnies se livrent à une concurrence féroce sur certaines destinations et prennent des risques de retard » souligne-t-il. « Elles intègrent le coût d’une éventuelle amende dans le prix du billet d’avion payé par les passagers. Une compagnie a eu 1,4 million d’euros d’amendes pendant la saison, mais elle gagné des parts de marché importantes en France et a affiché des résultats financiers très positifs. »

Plusieurs parlementaires ont fait du relèvement du montant des amendes leur cheval de bataille.

Ainsi, le sénateur Laurent Lafon (UDI), a déposé une proposition de loi, le 28 août dernier. Il demande que le plafond des amendes passe de 40 000 euros à 80 000 euros et que le nombre de dérogations à décoller ou à atterrir après 23 heures à Orly soit restreint.

De son côté, la députée Estelle Folest (Modem et Indépendants) et ses collègues ont fait une proposition de loi le 12 septembre 2023 prévoyant un sursis lors de la première infraction. Mais, en cas de récidive, l’amende pourrait aller jusqu’à 200 000 euros.

Gilles Leblanc enfonce le clou allant jusqu’à suggérer que, les déroutements nécessaires pour des aéronefs arrivant trop tardivement à Paris-Orly durant l’été 2024, soient réalisés sur les aéroports de Vatry et de Châteauroux de manière à alléger les aéroports d’Ile-de-France. « Un transport d’environ 1h30 en car express pourrait être organisé pour les passagers déroutés par leurs transporteurs aériens et voulant regagner rapidement Paris », précise-t-il de manière taquine.

*Corine Moriou est journaliste indépendante, Grand Reporter


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