07.10.2021 – Reporterre

Par Emmanuel Clévenot (Reporterre)

Ils et elles avaient pénétré sur le tarmac de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle pour s’opposer à son agrandissement. Leur procès s’est déroulé jeudi 7 octobre, à Bobigny.

Bobigny (Seine-Saint-Denis), reportage

« Si nous sommes devant vous aujourd’hui, c’est pour ne pas être complices du désastre annoncé. » Sept militants écologistes étaient en procès à Bobigny, jeudi 7 octobre, pour avoir fait irruption sur le tarmac de Roissy-Charles-de-Gaulle, il y a un an. Une action de désobéissance civile, organisée par les mouvements citoyens Alternatiba et ANV-COP21, dont le but était de dénoncer les conséquences du secteur aéronautique sur le changement climatique. Ils s’opposaient également au plus grand projet aéroportuaire français, le Terminal 4. Ce nouvel aérogare devait occuper 167 hectares et permettre d’absorber jusqu’à 40 millions de passagers supplémentaires par an, d’ici 2037. Quatre mois après ce coup de projecteur médiatique, le gouvernement a finalement annoncé son abandon.

Quelques minutes avant l’audience, jeudi, les premiers rayons de soleil illuminaient les barres d’immeubles d’une teinte orangée. Regroupées dans l’herbe encore humide de rosée, une centaine de personnes était venue apporter leur soutien aux prévenus. Au-dessus d’elles, une grande banderole avait été accrochée à la passerelle bleue qui mène au palais de justice : « Abandon du T4 : les activistes en procès ». Étudiant dans une école d’ingénierie aérospatiale, Nicolas, 24 ans, a pris la parole : « Je devrais pas être ici en ce moment, j’ai cours dans trente minutes… à Toulouse. Ça risque d’être compliqué, j’espère qu’il y a une ligne directe, s’amuse-t-il avant de reprendre plus sérieusement. Aujourd’hui, on explique aux étudiants qu’en 2050, on fera tourner les avions avec 68 % de carburants soutenables, dont 28 % de e-fuel… qu’on ne sait même pas encore produire ! Arrêtons de mentir et assumons la vérité : on ne fera pas voler ces engins avec de l’huile de friture d’ici trente ans. C’est faux ! »

Unis contre la répression des actions de désobéissance civile

Directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard lui a succédé et a tenté de rassurer les prévenus : « Je ne sais pas comment ça va se passer à l’intérieur. Je ne sais pas quelles questions ils vont vous poser. Je ne sais pas comment ils vont tenter de vous déstabiliser. Mais surtout, ne doutez jamais de la légitimité de votre action ni de son efficacité. On doit faire entendre au gouvernement que la seule issue possible est la réduction du trafic aérien. Il n’y a pas d’autres moyens pour limiter l’impact de la filière sur la question climatique. S’il faut multiplier, répéter, amplifier ce type de mobilisation, nous le ferons. » Le 4 novembre prochain, neuf activistes de Greenpeace seront jugés au même endroit. Il leur est reproché d’avoir peint en vert un Boeing 777 de la compagnie Air France, en mars dernier, sur le tarmac de Roissy-Charles-de-Gaulle.

Jeudi 7 octobre, devant le tribunal de Bobigny. (Photo ADVOCNAR)

Au milieu des militants, écharpe en bandoulière, la députée de la France insoumise Mathilde Panot a dénoncé une criminalisation systématique de ces actions de désobéissance civile. Le 13 septembre 2021, un projet de loi, porté par les ministres de la Transition écologique, de l’Économie et des Transports, a été adopté. L’article 10 de cette loi mentionne que toute personne s’introduisant de manière illégale sur une piste d’aéroport pourra être punie de « six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ». Une honte, pour la députée du Val-de-Marne : « La réponse apportée par les macronistes à ces actions légitimes, c’est répression-répression-répression. Je trouve ça honteux. On enlève des mains à certains, on crève les yeux à d’autres et on met en prison toutes celles et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique menée. C’est une étrange vision de la démocratie. » À 9 heures, les sept prévenus ont pris la direction du tribunal, guidés par une haie d’honneur et de chaleureux applaudissements.

« L’État me vole mon avenir… »

Dans la salle trop petite pour accueillir tous les militants régnait un brouhaha d’excitation. Puis, à l’arrivée du président, le silence s’est imposé. C’était la première fois, pour les sept prévenus, qu’ils se présentaient devant un juge. « Il vous est reproché d’avoir tenté de troubler, par quelque moyen que ce soit, le fonctionnement des immeubles ou installations destinés à assurer le contrôle de la circulation des aéronefs. En l’espèce, en pénétrant sur les pistes de l’aéroport et en se positionnant devant les avions. » Deux d’entre eux, Côme et Camille, étaient également poursuivis pour avoir volontairement dégradé les grilles d’accès aux pistes d’aéroport en les sectionnant à l’aide d’une disqueuse et d’une pince coupante.

À l’aide des caméras de surveillance de l’aéroport et des images enregistrées par les médias, le juge a tenté de reconstituer les événements. « Monsieur, est-ce bien vous qui êtes en train de donner des consignes à un petit groupe ? » ; « Madame, reconnaissez-vous être l’individu qui sectionne le cadenas du portail avec une meuleuse ? » À tour de rôle, les prévenus se sont levés, ont observé les photos et ont acquiescé. Petit à petit, ils ont retracé le déroulement de cette action de désobéissance civile : une arrivée à l’aube, dans le brouillard, le positionnement des échelles pour escalader le talus, la découpe d’un bout de grillage pour accéder au tarmac et, enfin, leur arrestation et leur placement en garde à vue.

Aux alentours de 10 heures, après une heure d’audience, les sept militants mis en cause ont décidé de porter chacun une déclaration spontanée aux oreilles du tribunal. La voix tremblante, Camille, serveuse, a commencé : « Ce matin-là, j’avais pleinement conscience que je commettais un délit. Mais qu’est-ce qu’une amende face à la déroute climatique qu’on nous oblige à affronter ? » « Moi, je suis là pour mes filles, a enchaîné Audrey, journaliste pigiste. J’habite à moins de 20 kilomètres de l’aéroport. Le projet T4 devait émettre l’équivalent des émissions de CO2 de 24 millions de Français pour le chauffage de leur logement. Il y a des lois qui interdisent d’envahir un tarmac, mais aucun garde-fou pour empêcher de tels projets climaticides. » Jérôme, astrophysicien, s’est étonné d’avoir à parler de ses recherches à la barre d’un tribunal. Et Gabriel, étudiant en droit, s’est inquiété pour son futur : « Je n’ai pas d’avenir. Plus précisément, on me le vole. L’État me vole mon avenir en approuvant ce genre de projets. »

Après ceux des prévenus, les juges ont écouté les témoignages de quatre témoins. Dominique Bourg, philosophe à l’Université de Lausanne, s’est exprimé sur le rôle des minorités agissantes dans l’évolution des normes et de la société. Florian Simatos, enseignant chercheur à l’école d’aéronautique l’ISAE Supaero, a déclaré que seule une réduction drastique du trafic aérien permettrait d’entrer dans les clous de l’Accord de Paris, les biocarburants n’étant pas encore suffisamment performants. Françoise Brochot, présidente d’une association de défense des riverains de Roissy, a informé l’assemblée des conséquences sanitaires du projet. Enfin, la climatologue Élisabeth Michel est longuement revenue sur les inquiétantes conclusions du dernier rapport du Giec.

« La justice climatique est naissante et c’est à vous de la façonner »

L’heure venue des plaidoiries, en début d’après-midi, l’avocat de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, Me Gaspard Lundwall, constitué partie civile, a ouvert le bal. « Je ne suis pas ici pour réclamer de l’argent. Je revendique simplement un dédommagement d’un euro symbolique, pour rappeler que ce n’est pas anodin qu’une centaine d’activistes pénètrent dans une zone hyper sécurisée. On peut parler de liberté d’expression pour une femen qui dévoile sa poitrine publiquement. On ne peut pas parler de liberté d’expression quand on débarque avec pinces et meuleuses. »

« Je refuse d’entrer dans les débats de ce matin, a poursuivi le procureur. Nous n’avons pas à juger les effets du changement climatique, nous sommes là pour juger des faits commis par les individus ici présents. Je suis conscient que ce ne sont pas des délinquants chevronnés, mais il est très dangereux que des personnes s’autorisent à transgresser le Code civil parce qu’ils ne sont pas contents. Des militants, il y en a tous les samedis à République et ils ne finissent pas pour autant au tribunal. » Le représentant du ministère public a finalement requis des peines allant d’un à trois mois d’emprisonnement avec sursis et entre 400 euros et 600 euros d’amende.

Du côté de la défense, les trois avocats, Me Chloé Seynac, Me Arié Alimi et Me Alexis Baudelin, ont invoqué l’état de nécessité et la liberté d’expression, rappelant la dimension politique des faits reprochés. « Entrer sur un tarmac, c’est dangereux. Mais le réchauffement climatique l’est davantage, a insisté le troisième d’entre eux, avant de tendre un dossier au juge. Je vous ai imprimé cinquante pages de catastrophes climatiques. J’aurais pu vous en donner bien plus, mais il m’aurait fallu raser une forêt et je pense qu’elles brûlent déjà assez comme ça. Ils avaient tout essayé : manifestations, pétitions, recours en justice… Ça n’a rien donné. Peut-on en dire autant de cette action ? Non, puisque le gouvernement a finalement annoncé l’abandon du projet T4. » Enfin, pour clore les cinq heures de procès, Me Arié Alimi a dit aux trois juges : « La justice climatique est naissante et c’est à vous, aujourd’hui, de la façonner. » Le jugement sera rendu le 12 novembre prochain, à 13 heures.

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